EUROPE DE L’EST - L’avant-garde artistique

EUROPE DE L’EST - L’avant-garde artistique
EUROPE DE L’EST - L’avant-garde artistique

L’intérêt porté par les historiens d’art à l’avant-garde de l’Europe de l’Est s’est développé lentement. Les chercheurs ont d’abord étudié l’art russe, contemporain de la révolution d’Octobre. L’art moderne des pays d’Europe centrale qui font partie de l’Europe de l’Est était considéré comme un art provincial et ne faisait donc pas l’objet d’investigation spécifique. Cette situation changea au début des années 1970. Les recherches des historiens de l’art polonais, hongrois et tchèques et les premières expositions internationales d’ensemble de l’art d’avant-garde est-européenne présentées à l’Ouest donnèrent une image beaucoup plus complexe qu’auparavant de cette avant-garde. La coexistence de plusieurs courants culturels qui conservaient leur particularité tout en étant liés par de multiples rapports fut généralement reconnue.

On découvrit ainsi un nouveau territoire où s’étaient déroulées, à leur rythme, les expériences artistiques de la première moitié du XXe siècle. On découvrit aussi qu’une avant-garde artistique originale s’était développée dans les pays situés à l’est de l’Europe de l’Ouest et à l’ouest de la Russie. Depuis 1980, les travaux des chercheurs témoignent de la richesse des créations avant-gardistes entre les deux guerres mondiales en Europe centrale et du Sud-Est, expression qu’il faut retenir pour circonscrire clairement l’ensemble des foyers de cette effervescence artistique. Ces recherches ont permis d’une part de poser à nouveau la question de l’identité culturelle de cette partie de l’Europe, d’autre part de réviser certaines généralisations hâtivement formulées jusqu’alors. La question de savoir s’il existe un art d’avant-garde spécifique à l’Europe de l’Est, en dehors de l’avant-garde russe, un art enraciné dans une tradition différente et formé dans une situation historique différente, garde donc toute son actualité.

1. Identification culturelle

La question de l’unité culturelle de l’Europe de l’Est est très complexe et impossible à cerner à l’aide d’une simple formule. Déjà, en ce qui concerne la terminologie, des complications importantes, déterminées par une perspective historique et idéologique, se font sentir. La notion d’Europe de l’Est et celle, de plus en plus admise, d’Europe centrale et du Sud-Est s’appliquent au même territoire.

La Seconde Guerre mondiale et le partage de Yalta renforcèrent la division de l’Europe: l’Europe de l’Est dépendant de l’Union soviétique, l’Europe de l’Ouest se rattachant à une communauté atlantique. Les tentatives entreprises par les nations est-européennes en vue de leur autonomie politique, sensibles depuis la fin de la guerre et particulièrement énergiques dès 1956, allèrent de pair avec la conscience, de plus en plus nette, du destin commun, donc aussi de la communauté culturelle fondée sur la latinité des petites nations de l’Europe centrale et du Sud-Est exposées continuellement à l’expansionnisme russe. Les facteurs déterminants de la culture de cette partie du continent européen doivent être rappelés ici. Aux yeux des historiens, une civilisation moins ancienne que la civilisation occidentale, un certain retard du développement socio-économique, «l’agrarisme», facteur de stabilité, mais aussi de conservatisme, constituent autant d’éléments qui auraient influencé la culture de tous les pays limitrophes.

Ajoutons à cela une attitude très ambiguë à l’égard du passé: une méfiance constante envers les lois de l’histoire universelle, conséquences des nombreuses désillusions de peuples qui ont perdu, au cours des siècles, leur indépendance. Simultanément, l’histoire comprise en tant que tradition nationale, en tant que communauté d’images et symboles a servi de référence constante, permettant de survivre pendant les périodes de dépendance. Les anti-utopies et les utopies rétrospectives (utopies qui utilisent les valeurs du passé pour imaginer l’avenir) jouissaient donc là d’un succès plus important que les visions optimistes de l’avenir.

Le XXe siècle apporta plusieurs changements à cet état de choses. La période où les peuples de cette partie de l’Europe constituèrent leur État, où plusieurs nations recouvrirent leur indépendance après la Première Guerre mondiale correspondit en fin de compte à une tentative de modernisation de la sphère sociale, de la structure économique et en même temps de la culture. Le modernisme des pays indépendants consista donc en une tentative pour combler le retard dû à l’histoire.

L’avant-garde artistique en Europe centrale et du Sud-Est s’appropria la vision moderniste fondée sur une conviction neuve qui établissait un lien direct entre le progrès social, technique et artistique. L’avant-garde se distingue des autres courants artistiques en limitant les processus artistiques aux seules innovations formelles certes, mais «ancrées dans la vie». Cette approche a permis d’imaginer de nouvelles visions du monde, prométhéennes, et des utopies socio-artistiques.

Il faut souligner néanmoins que les visions modernistes de la culture et de l’art, les utopies optimistes du progrès exprimées dans les pays de l’Europe centrale et du Sud-Est se heurtaient violemment aux utopies rétrospectives, dominantes, ou aux utopies franchement conservatrices, toutes enracinées dans l’histoire et, en plus, témoins de l’originalité de cette culture.

Il est clair que la situation européenne modifiait les programmes et les stylistiques de l’avant-garde en Europe centrale et du Sud-Est. Mais si cette avant-garde partage avec l’avant-garde occidentale de nombreuses caractéristiques, sa spécificité tient au particularisme accentué de ses recherches artistiques, de caractère national, et parfois même régional. Les avant-gardes polonaise, hongroise, tchèque, slovaque, serbe, croate, ukrainienne et d’autres encore, malgré plusieurs traits communs, malgré une orientation générale analogue, se distinguaient nettement entre elles par la différence de leurs expériences politiques et sociales, historiques et nationales, folkloriques et populaires.

Dans l’avant-garde de l’Europe centrale et du Sud-Est, les expériences de l’art moderne se manifestaient à un rythme particulier, tantôt s’accélérant, tantôt revenant à certaines questions artistiques, à certains motifs ou figures qui, malgré les modifications stylistiques, resurgissaient dans des formes nouvelles.

Enfin, ces avant-gardes se mouvaient dans une sphère de références socio-artistiques. Et les créateurs avant-gardistes surent, à travers leurs propres problèmes, rejoindre les questions d’ordre général que se posait l’art européen. C’est justement cette caractéristique qui permet de parler à la fois du particularisme et de l’universalisme de cet art.

Comment tracer les limites chronologiques de cette avant-garde? Les premiers signes de l’intérêt porté aux problèmes de l’art moderne, problèmes prépondérants aux yeux de toute avant-garde, se manifestèrent en Europe de l’Est entre 1910 et 1915 d’abord dans la littérature et bientôt dans les arts plastiques. Pendant leur phase initiale, ces mouvements, assimilant dans un contexte expressionniste les formes et les mots d’ordre cubistes et futuristes, gravitèrent aux environs de 1915 autour de l’avant-garde berlinoise. Ces sources d’inspiration restèrent vivaces jusqu’au début des années 1920. La troisième décennie du XXe siècle correspondit à une période d’autonomie des recherches avant-gardistes. Elle se caractérisa par une domination de la problématique constructiviste et par un intérêt croissant pour le fonctionnalisme en architecture. Ce fut la phase de l’internationalisation du courant avant-gardiste, des contacts directs entre les créateurs aussi bien à l’ouest qu’à l’est de l’Europe. Moscou, Berlin, Paris mais aussi Weimar et, plus tard, Dessau, Bruxelles et Amsterdam furent des centres d’égale importance auxquels se référaient les créateurs de Varsovie, Prague, Vienne, Budapest, Belgrade et Zagreb, sans renoncer aux relations qui existaient entre eux.

La crise aiguë, plus durable pour cette partie de l’Europe, dévalorisa les visions optimistes de l’avant-garde des années 1920. Et, dans les années 1930, celle-ci perdit l’homogénéité qui avait caractérisé la période précédente. De nouvelles questions se posèrent, de nouveaux processus se dessinèrent. La montée du nazisme eut pour effet de radicaliser dans les programmes artistiques les prises de positions politiques de gauche. L’intérêt pour l’art réaliste, totalement étranger au constructivisme, se fit sentir. Il était influencé par «l’art de fait» venu de l’Est, (un art en prise directe avec la réalité, par exemple le reportage en photographie ou en littérature), par l’art social venu de l’Ouest, ainsi que par l’attention portée à l’art surréaliste dont la renommée était devenue internationale. Le constructivisme, fondé sur la forme abstraite et géométrique, suscita la révolte d’une nouvelle génération d’artistes qui lui reprochaient son faible impact politique et son caractère décoratif. Dans le contexte de la culture de masse, la stylisation avant-gardiste de la dernière décennie s’était transformée en «art déco», typique des années 1930, qui s’exprima dans la forme décorative des revues populaires, dans le décor architectural et dans les objets usuels.

Si le début de la Seconde Guerre mondiale interrompit les processus artistiques, l’après-guerre a vu renaître l’espoir d’une continuité renouvelée de la tradition avant-gardiste, espoir passager car la domination politique de l’Union soviétique dans cette partie de l’Europe et la subordination de la culture aux programmes du réalisme socialiste, mis en place dès 1949, effacèrent cette chance. Espoir qui se dessina encore, après 1956, dans quelques pays. Cependant, en ce qui concerne le «néo-avant-gardisme», la limitation de la liberté créatrice par le pouvoir communiste ne permit plus de parler d’une communauté de l’art dans cette partie de l’Europe jusqu’en 1989.

Les chronologies des faits culturels privilégiant les rapports synchroniques au détriment de l’évolution des différentes tendances semblent particulièrement adaptées aux recherches comparatives sur l’art de l’Europe centrale et du Sud-Est. Il faut souligner que l’accent mis sur les rapports synchroniques ne nuit pas à leur dynamique historique. Il permet de poser plus nettement la question de la coexistence et de la juxtaposition, dans des périodes courtes, de plusieurs niveaux de traditions et de styles divers.

2. Les années 1910: la naissance de l’avant-garde, l’expressionnisme

En Europe de l’Est, au début de la deuxième décennie du XXe siècle, le cubisme fut considéré dans le cercle d’artistes de l’avant-garde naissante comme une forme particulière d’expression individuelle subordonnée à l’expressionnisme, courant principal identifié à la modernité dans l’art. Les jeunes artistes acceptaient le mot d’ordre expressionniste de libération psychique de l’individu qui, dans le domaine de l’art, menait à l’apologie des valeurs de la création individuelle, seules capables d’établir une communication universelle entre les hommes. On s’intéressait au cubisme en tant qu’expérience formelle. La déformation cubiste, en rompant avec la représentation réaliste de la nature et en imposant les nouveaux principes de composition du tableau, permettait aux artistes d’assimiler le cubisme au «style de la modernité». Ainsi les artistes d’Europe centrale et du Sud-Est évitaient-ils l’antagonisme, que n’avait pu résoudre l’avant-garde occidentale, entre la rigueur rationnelle du cubisme et la liberté formelle de l’expressionnisme. La tradition symboliste, et plus encore celle de l’Art nouveau (la Sécession viennoise), profondément enracinée dans la culture de la monarchie austro-hongroise et rayonnant au-delà de ses frontières, facilitèrent pendant des années la coexistence d’éléments émotifs et d’éléments décoratifs dans l’œuvre d’art. Bien que ce terme n’ait pas été reconnu par la génération des années 1910, le cubo-expressionnisme a constitué le courant principal de l’art d’avant-garde de cette période. Le second fut l’expressionnisme, dans ses versions activiste et spirituelle.

Le rythme cubiste des surfaces aussi bien que leur juxtaposition et leur interférence dominaient dans les tableaux des artistes tchèques du Skupina výtvarných um face="EU Caron" ガlc face="EU Caron" ヅ (Le Groupe d’artistes, 1911) comme E. Filla, B. Kubišta, A. Prochászka, et plus encore dans les sculptures d’Otto Gutfreund. Par opposition aux expériences picturales sur l’espace et l’illusion propres au cubisme français, les recherches des artistes tchèques traduisaient la suprématie des valeurs expressives de la surface et du volume par la prise en compte de la lumière et du mouvement.

Cet esthétisme particulier de l’avant-garde tchèque a trouvé sa confirmation dans les travaux des artistes du groupe Tvrdošijný (Les Obstinés: J. face="EU Caron" アapek, A. Hoffmeister, Z. Rykr, J. Šima, V. Spála, A. Wachsman...) créé en 1918 à Prague. Dans leurs œuvres, ils empruntaient au cubisme sa tendance à synthétiser la vision et à l’expressionnisme la force de son potentiel émotionnel.

Dans la peinture hongroise, la déformation cubiste a été presque totalement soumise à l’expression des couleurs et des formes propres au fauvisme. Dans les œuvres de V. Dénes, S. Galimberti, dans la peinture de J. Kmetty, J. Nemes-Lampérth, enfin chez P. Dobrovits – peintre de Belgrade travaillant à Budapest –, le cubisme fut réduit à la netteté du contour du visage ou de la silhouette, à la géométrisation du paysage, à la mise en évidence du volume des objets.

Les premiers travaux des artistes polonais comme J. Hry kowski, J. Mierzejewski et T. Niesio face="EU Caron" ゥowski, appliquaient la même convention. Néanmoins, les œuvres de T. Czy face="EU Updot" 勞ewski, Z. Pronaszko s’approchaient plus des recherches tchèques. La structure prismatique des sculptures de Pronaszko et la construction des dessins et des tableaux de Czy face="EU Updot" 勞ewski faisaient ressortir le rythme de la forme, les jeux de la lumière et l’expression de la représentation grâce à la répartition des différentes surfaces picturales. Enfin, en mettant l’accent sur l’aspect formel de l’art moderne, et non pas sur son aspect émotif, ce courant de l’art polonais évoluait dans une autre direction que celle de sa version tchèque.

En 1917, à Cracovie, naissait un groupe d’artistes qui prit d’abord le nom de Ekspresjoni ごci Polscy (Expressionnistes polonais), avant d’adopter, un an plus tard, celui de Formi ごci (les Formistes: L. Chwistek, T. Czy face="EU Updot" 勞ewski, L. Do face="EU Caron" ゥ face="EU Updot" 勞ycki, J. Hry kowski, J. Mierzejewski, Z. Pronaszko, S. I. Witkiewicz, A. Zamoyski). Ce changement d’appellation était très significatif. Dès les premières déclarations cubo-expressionnistes, il apparaît nettement en effet que ce courant tendait à la création d’un style, ce qui l’a distingué de l’expressionnisme occidental. Il s’agissait de créer un art digne de l’époque contemporaine. Dans cette perspective, le programme esthétique du formisme polonais réalisait au début des années 1920 l’accomplissement et la conclusion de l’un des principaux courants avant-gardistes des années 1920.

Deux revues éditées à Berlin étaient le lieu d’échange des idées artistiques entre l’Est et l’Ouest. La première, Der Sturm , fondée par H. Walden en 1910, liée dès son origine à Kandinsky a publié les travaux et les déclarations artistiques de tous les créateurs de l’avant-garde. Elle a réagi vivement à tous les changements au sein de celle-ci, sympathisant avec toutes les manifestations de l’expressionnisme en art. La revue s’intéressait moins aux problèmes politiques qu’aux recherches structurales concernant les limites de la «forme moderne». La seconde revue, Die Aktion , rédigée par F. Pfemfert (depuis 1911), à caractère résolument politique, était idéologiquement liée à la gauche allemande (Spartakus ). En acceptant toutes les attitudes radicales et anarchistes, elle subordonnait entièrement les programmes artistiques à l’activité révolutionnaire. Néanmoins, c’est vers l’expressionnisme en tant qu’attitude éthique, art d’action et moyen d’énonciation renforcée, que se portait spontanément le groupe d’écrivains et d’artistes attachés à la revue.

De l’assimilation de ces deux orientations d’origine expressionniste, ou bien de la référence directe à l’une d’elles, naquit la deuxième vague de courants artistiques avant-gardistes, caractéristiques de l’Europe centrale et du Sud-Est. Significatifs, de ce point de vue, sont en premier lieu l’histoire de l’avant-garde hongroise, puis plus tard celle de l’avant-garde polonaise, et enfin les débuts de l’art moderne dans les Balkans.

En 1915 parut à Budapest le premier numéro de la revue A Tett (L’Action), dont le rédacteur en chef était L. Kassák. La revue, surtout politique, affichait d’une part une attitude pacifiste, seule légitime du point de vue social et éthique, et favorisait d’autre part l’anarchisme. Dans le domaine de l’art, Kassák et ses collaborateurs ont accepté l’activisme comme une manifestation de l’expressionnisme qui devait permettre de «se libérer de toutes les entraves de l’esthétisme et se lancer dans le tourbillon des événements». Ce programme se réalisait à travers la publication des dessins de B. Uitz, A. Ero s, P. Dobrovits, J. Pászk. Il s’agissait dans l’ensemble de travaux réalistes, parfois ironiques et caricaturaux, très souvent de forme monumentale et synthétique, représentant toujours des personnages, des scènes symboliques, des événements historiques et actuels caractérisés par une expression violente. Ils faisaient allusion à la souffrance de l’humanité, à l’injustice sociale, à la tragédie de la guerre. Kassák acceptait certes l’expressionnisme de Kandinsky, mais de façon tout à fait restrictive: il n’appréciait que les œuvres formulant une rupture «révolutionnaire» avec la structure historique de l’art, des œuvres qui soient à la fois en quête d’une harmonie de la composition et le modèle d’un avenir rationnel.

En 1916, la censure mettait fin à la revue A Tett : la place fut immédiatement occupée par la revue Ma (Aujourd’hui). Ce périodique, dirigé par Kassák, essaya de trouver un équilibre entre le programme artistique, poussé au premier plan, et les ambitions politiques de Kassák et de ses collaborateurs. La revue tentait de trouver un compromis entre les recherches de J. Máttis-Teutsch, d’un caractère abstrait «mystico-cosmique», et un art vériste politico-propagandiste représenté par les dessins et les tableaux de Uitz, les gravures dramatiques et les affiches de S. Bortnyik.

À partir de 1918 en Hongrie, l’atmosphère révolutionnaire montante a provoqué la politisation des programmes du milieu artistique autour de Ma . En 1919, les activistes se déclaraient du côté de la République soviétique hongroise. Malheureusement, il n’y a pas eu de réconciliation entre les artistes et le pouvoir nouveau. On a accusé les activistes de «produire des œuvres résultant de la décadence bourgeoise». La liquidation de la revue et plus tard la chute de la République soviétique hongroise en 1919 provoquèrent l’émigration massive des artistes de l’avant-garde hongroise.

L’histoire du courant expressionniste polonais est différente, bien que les artistes aient assimilé le mot d’ordre d’activisme et de révolte prôné par Die Aktion . En 1917, le groupe Bunt (La Révolte: J. Hulewicz, M. Kubicka, S. Kubicki, W. Skotarek, S. Szmaj, J. J. Wroniecki...) est créé à Pozna . Plusieurs manifestations individuelles et de multiples relations avec le milieu berlinois ont précédé la naissance du groupe lié au périodique Zdrój (La Source, 1917-1920), d’origine expressionniste.

Contrairement aux activistes hongrois, attachés à des conceptions d’action et de révolte, les artistes polonais témoignent dans leurs attitudes plus d’une tradition néo-romantique que d’un programme politique précis. Au fil des années, ces orientations spiritualistes et théosophiques s’approfondirent, jusqu’en 1920, date de la rupture définitive avec l’idée de révolution sociale et avec le programme communisant Die Aktion , qui avait d’ailleurs propagé l’idée de la guerre bolchevique contre la Pologne. Dans les gravures des artistes du groupe Bunt dominait la stylisation caractéristique du début de l’expressionnisme. Les compositions figuratives et les «improvisations» abstraites tendaient à une dramaturgie renforcée et à une atmosphère mystérieuse qui gardèrent toujours un aspect décoratif venant de l’art de la fin du XIXe siècle.

L’origine expressionniste de l’avant-garde de l’Europe centrale et du Sud-Est est un fait incontestable. Même si depuis le début de la guerre jusqu’en 1919 cette tendance n’a pas trouvé en Yougoslavie et en Roumanie son expression dans les arts plastiques, elle a sûrement inspiré énonciations et discours dans le milieu des poètes. En ce qui concerne les arts plastiques, le processus d’autodétermination de l’avant-garde n’a commencé dans ces pays qu’au début des années 1920, sous l’influence de l’expressionnisme.

3. Les années 1920: l’avant-garde internationale, le constructivisme

Dès le début des années 1920, on peut observer à l’Est, dans les milieux d’avant-garde, une grande diversité dans l’approche des problème posés par l’art moderne. Les déclarations expressionnistes se sont raréfiées au profit de l’attraction exercée par la dynamique futuriste et par le jeu dadaïste. Ces deux tendances engendrent une attitude générale par rapport à l’art plutôt qu’elles n’aboutissent à des solutions stylistiques concrètes. Cette attitude, jamais clairement affirmée à l’Est, oscille tout au long des années 1920 entre l’ironie ludique et la provocation anti-bourgeoise. Les artistes éloignés du radicalisme luttaient contre une tradition qui leur fournissait pourtant la trame la plus forte. Ils revendiquaient la place de l’art dans la civilisation technique, mais contestaient en même temps le rationalisme et le machinisme. L’avant-garde, tout en étant fascinée par les masses, par la nouvelle société anonyme, cherchait à exprimer son «moi», son intimité quotidienne. Les tentatives occidentales d’universaliser le futurisme et le dadaïsme rencontraient dans cette partie de l’Europe un souci d’individualisation à la fois nationale et régionale.

L’un des exemples les plus intéressants de cette attitude remplie de contradictions et de tensions internes est incarné par L. Mici が, animateur du milieu artistique, théoricien et rédacteur de la revue Zenit (Jo Klek, M. S. Petrov, B. Tokin...) fondée en 1921 à Zagreb et éditée à partir de 1923 à Belgrade.

Mici が a formulé à partir de l’expressionnisme son propre programme, le zénithisme où il se déclarait pour l’avant-garde internationale. Il faisait en même temps l’apologie du barbarisme et du primitivisme en tant qu’expressions de la culture spontanée de l’Orient balkanique, capables de renouveler la civilisation occidentale décadente, logique et technique.

Au début des années 1920, des idées semblables animaient les manifestes et les programmes de l’avant-garde bulgare. G. Milev, créateur de la revue Plamk (La Flamme, 1922), et S. Skitnik, peintre et critique d’art, collaborateur de cette revue, prônaient la nécessité de retrouver la «source barbare» de la culture bulgare, l’élément polyphonique et primitif, susceptible de ranimer l’époque contemporaine. Tokin, dans le manifeste du zénithisme (1924), considérait le cubisme, le futurisme et l’expressionnisme comme trois chemins vers la création d’une réalité suprême: le zénithisme qui se définit comme l’hyperréalité d’une «barbarogénie» non pas logique mais dynamique et cosmique. Skitnik, qui cherchait la réalité cachée dans le passé, était convaincu que l’expressionnisme, le futurisme et le dadaïsme avaient retrouvé la «barbarie primitive» dans l’époque moderne.

La principale catégorie conceptuelle du futurisme est-européen était alors le primitivisme qui établissait un rapport nouveau et direct entre l’artiste et la réalité. Cependant, la banalisation de l’activité de l’artiste et surtout les moyens artistiques mis à sa disposition devinrent des synonymes de la modernisation de l’art.

L’histoire du futurisme polonais, relativement courte car elle se limite aux années 1919-1922, a été, de ce point de vue, très caractéristique. Publié phonétiquement en 1920, le cahier-manifeste Gga sous-titré «le mensuel des primitifs» s’était déclaré pour «la simplicité, la vulgarité, la gaieté, la santé, la trivialité et le rire» aussi bien dans l’art que dans la vie. Ses auteurs considéraient que le divertissement insouciant, le tour de passe-passe du cirque, la baraque foraine, la pastorale populaire chantée à Noël caractérisaient une civilisation spontanée tout autant que les «ailes brillantes d’un aéroplane» ou le culte de la machine, du mouvement et de la vitesse.

L’accueil réservé en Tchécoslovaquie au futurisme et au dadaïsme correspondait à un intérêt pour la culture marginale. K. Teige, animateur de l’avant-garde tchèque et son principal théoricien, évoquait dans ses poèmes l’«humour des clowns et des dadaïstes» et exigeait de l’art moderne qu’il soit «délicieux et accessible comme le sport, le vin et les autres friandises».

Entre 1922 et 1924, la situation politico-économique s’était stabilisée en Europe. Malgré sa courte durée, cet équilibre a permis de soulever de nouveaux problèmes artistiques. L’ouverture des frontières de la Russie à la faveur de la N.E.P. en 1921, la fin de l’agitation révolutionnaire en Allemagne ont provoqué un vif et fructueux échange d’idées; celles-ci parcouraient librement le territoire de l’Europe centrale et du Sud-Est. Initiatives nouvelles, nouveaux groupes artistiques éditeurs de nouvelles revues, organisation d’expositions et de conférences internationales constituaient un vaste réseau de contacts dans toute l’Europe. C’est dans ce contexte que le constructivisme s’est défini dans l’Europe centrale et du Sud-Est.

Le mouvement constructiviste, qui proclamait la gloire de la civilisation technique et de l’activité fonctionnelle et qui cherchait un fondement rationnel à la création artistique, s’était fermement opposé à la métaphysique expressionniste. Mouvement né de l’influence directe des idées révolutionnaires, il s’interroge d’abord sur la place de l’art et de l’artiste dans la nouvelle réalité sociale. Telle fut l’essence mais aussi l’utopie du constructivisme: une vision révolutionnaire, réalisée dans l’art mais au nom de la vie. Le constructivisme allemand a été déterminé par le fonctionnalisme (Bauhaus), celui de la Russie par le productivisme, tandis que dans l’Europe centrale et du Sud-Est, enracinée dans sa propre tradition, il a formulé des utopies architectoniques. Les constructivistes croyaient que de la construction parfaite du tableau jaillirait un nouvel ordre social, une nouvelle société égalitaire.

Après son émigration à Vienne en 1920, Kassák continua son activité, notamment en publiant la revue Ma avec la collaboration de S. Bortnyik, de L. Moholy-Nagy, de B. Uitz et de E. Kállai, critique et théoricien de l’art. Le nouveau programme, programme constructiviste, fut établi immédiatement. L’héritage expressionniste des artistes hongrois les avait sensibilisés aux problèmes éthiques de la culture contemporaine. Dans une telle perspective, les travaux théoriques de E. Kállai furent déterminants pour le constructivisme hongrois.

En Tchécoslovaquie, K. Teige et d’autres artistes et écrivains ont créé en 1920 le groupe Dev face="EU Caron" ガtsil (les Neuf Forces, K. Biebl, J. Frágner, F. Halas, J. Honzl, J. Jelinek, L. Linhart, F. Muzika, Mrkvi face="EU Caron" カka, V. Nezval, V. Obrtel, J. Seifert, J. Štyrský, V. Van face="EU Caron" カura, J. Voskovec, Toyen), qui a existé jusqu’en 1931. Le groupe participait à plusieurs revues consacrées à la littérature, à l’architecture et aux beaux-arts: Dev face="EU Caron" ガtsil (1922-1931), Pásmo (La Trame, 1924-1926), Stavba (La Construction, 1922-1938), ReD (Revue Dev face="EU Caron" ガtsil, 1927-1931), Disk (1922-1925). À partir de 1923, le groupe Dev face="EU Caron" ガtsil soutint le constructivisme. En Tchécoslovaquie, le constructivisme restait proche de l’émotivité du cubo-expressionnisme et soulignait le facteur imaginaire de la création, qui déterminera plus tard le surréalisme. Le «poétisme» tchèque, inscrit dans le constructivisme, n’excluait pas en effet la narration littéraire dans l’art plastique (les tableaux-poèmes).

En Pologne, le constructivisme apparaissait en 1923. Un an plus tard, le premier groupe constructiviste Blok s’organisait (K. Kobro, M. Nicz-Borowiak, H. Sta face="EU Updot" 勞ewski, W. Strzemi ski, M. Szczuka, T. face="EU Updot" 爛arnower) et commençait à publier la revue du même nom. En 1926, ce groupe est remplacé par Praesens, dont les membres furent surtout des architectes (B. Lachert, Pronaszko, H. Sta face="EU Updot" 勞ewski, S. Syrkus, J. Szanajca). Troisième et dernier groupe constructiviste, a.r. (les artistes révolutionnaires) groupe de peintres et de poètes se forme en 1929 à l’initiative de W. Strzemi ski (J. Brz きkowski, K. Kobro, J. Przybo ご, H. Sta face="EU Updot" 勞ewski). L’un des aspects originaux du constructivisme polonais, malgré une large diversification interne, résidait dans le souci qu’il manifestait d’approfondir le statut de l’existence de l’œuvre d’art, en tant que catégorie épistémologique, ce qui a conduit W. Strzemi ski à produire dans ses œuvres une composition totalement unifiée, l’idée qu’il explique dans sa théorie, l’unisme.

En Roumanie paraissait en 1922 la revue Contimporanul (1922-1923), rédigée par M. Janco et I. Vinea. Dès le début, elle adopte l’orientation constructiviste, même si travaux et déclarations sont marqués par l’héritage expressionniste. Les autres revues ainsi que les différents milieux artistiques s’y rattachant, tels que: 75 HP (1924, I. Voronca, V. Brauner), Punct (1924-1925; Janco, I. Vinea) et la plus typique pour le constructivisme, Integral (1925-1928; V. Brauner, M. H. Maxy, Máttis-Teutsch), se caractérisaient par un certain syncrétisme. On peut observer le même phénomène à travers la lente évolution vers le constructivisme du groupe yougoslave Zenit, de la revue Tank (A. face="EU Caron" アernigoj) de Trieste et d’un périodique bulgare, Crescendo (G. Milev). L’avant-garde des années 1920 dans les pays de l’Europe du Sud-Est n’a jamais rompu radicalement avec l’expressionnisme. L’apparition tardive de nouveaux problèmes artistiques autorisait dans cette partie de l’Europe la coexistence des différentes stylistiques, considérées ailleurs comme incompatibles.

Peut-on parler d’une dimension et d’une stylistique du tableau constructiviste communes aux différents pays de l’Est? Les prémisses selon lesquelles l’art n’imite pas la nature, mais au contraire construit le monde nouveau, ont dirigé les constructivistes vers des œuvres non figuratives. Anti-émotivité et rationalisme analytique stimulaient leur recherche des formes simples, le plus souvent géométriques, des couleurs pures. L’intérêt des constructivistes pour la technique et l’industrie donna naissance à des œuvres en métal et en verre, où l’on utilisait parfois de la lumière électrique et du mouvement réel. Les tableaux peints et construits, les collages et les assemblages tiraient souvent les conséquences des expériences conduites dans le domaine de la photographie et du photomontage. Les constructions «techniquement parfaites» exhibant leur structure concrétisaient la vision d’un homme nouveau, d’une société fonctionnelle, égalitaire, bref d’un nouveau monde rationnel. Telle fut l’essence de l’utopie socio-artistique des constructivistes.

Au cours des années 1920, les visions optimistes de l’avant-garde marchaient de pair avec les utopies négatives (anti-utopies), dont l’exemple le plus intéressant est incarné par S. I. Witkiewicz, dit Witkacy. Il ne partageait pas l’optimisme de l’avant-garde et, s’il a donné le même diagnostic que les constructivistes sur l’évolution de la civilisation moderne, il l’a jugée et interprétée différemment. Witkacy croyait en effet au progrès social et au caractère pacifique de l’avenir. Mais il a pressenti que l’art, les valeurs spirituelles, la métaphysique seraient absents de «la civilisation de l’avenir». Tel serait le prix que devrait payer la société pour son confort et sa prospérité.

4. Les années 1930: les voies nouvelles, le surréalisme

Au tout début des années 1930, la nouvelle carte des relations artistiques en Europe se dessina. L’art allemand et l’avant-garde russe sont éclipsés par le réalisme et le surréalisme français. Les contacts directs entre les groupes se raréfièrent. La dégradation de la situation économique, la montée des totalitarismes, la menace de plus en plus lourde de guerre mondiale provoquaient la politisation de tous les programmes artistiques. Dans le cadre de la culture de masse naissante, des changements importants des formes institutionnelles de la vie artistique s’amorçaient. Les groupes qui proposaient des programmes étaient progressivement remplacés par des syndicats, les créateurs participaient de plus en plus souvent à des institutions non artistiques, associations et partis politiques, ou bien à des institutions publicitaires et à des entreprises commerciales au service du marché.

Dans ce contexte, le constructivisme et sa conception du tableau abstrait perdirent de leur popularité. Accusé d’esthétisme extrême, le constructivisme se trouvait confronté à l’engagement social et à «l’art de fait». L’actualité des problèmes éthiques dans le programme surréaliste et particulièrement l’idée d’une révolution psychique attiraient les jeunes artistes. Ceux-ci acceptaient parallèlement le mot d’ordre du réalisme socialiste, qui prenait sa source dans la propagande de la Russie soviétique. Les liens traditionnels de l’avant-garde avec la gauche, puis son opposition radicale au fascisme dans les années 1930, empêchaient les artistes de remettre en question la politique culturelle russe.

En Tchécoslovaquie, le passage du constructivisme au surréalisme entre les années 1920 et 1930 s’était déroulé sans heurts. Là le surréalisme trouve sa source dans la peinture métaphysique de J. Zrzavý, il est stimulé par le cercle d’André Breton et reste étroitement lié au communisme. En 1927 apparurent au sein du groupe Dev face="EU Caron" ガtsil deux tendances qui dépassaient les problèmes propres au constructivisme. L’une et l’autre, la première l’«artificialisme» (J. Štyrský, Toyen), la seconde, plus proche de l’«imaginisme» (F. Muzika, A. Wachsman), tout en utilisant la déformation post-cubiste, mettaient l’accent sur le jeu lyrique entre les formes. Toutes deux traitaient le tableau comme un ensemble de signes autonomes. La parfaite connaissance du surréalisme français en Tchécoslovaquie est acquise au début des années 1930, date des premières publications en langue tchèque, dans les colonnes de la revue Zverokruh (Le Zodiaque, 1930), des textes de Breton, d’Aragon et d’Eluard. À l’initiative de Nezval, un groupe avait été fondé au début de 1934, Skupina surrealistov (Le Groupe des surréalistes: K. Teige, J. Štyrský, Toyen, et J. Šima qui habitait à Paris). Un an plus tard eut lieu à Prague l’exposition internationale des surréalistes, qui renforça les liens des Tchèques avec Breton et avec l’avant-garde française. Deux tendances divisaient alors le surréalisme tchèque. La première, anthropologique, alliait le rationalisme épistémologique et l’irrationalisme de la création. La seconde, politique, ignorait les contradictions entre le programme du réalisme socialiste et l’engagement social du surréalisme. La peinture surréaliste, soulignait Teige, est un chemin qui «mène vers la libération de l’esprit humain à condition qu’il s’identifie avec l’aspiration révolutionnaire de l’histoire, c’est-à-dire avec le communisme». L’antinomie politique s’aggrave au cours des années 1930, provoquant d’abord des scissions au sein du second groupe, puis, en 1938, sa dissolution. En revanche, l’attitude profondément enracinée dans la tradition tchèque qui réconciliait rationalisme et irrationalisme aura un avenir fécond.

Issu du cercle des artistes attachés à l’Académie moderne de F. Léger et A. Ozenfant à Paris, l’art surréaliste polonais fit sien très rapidement le mot d’ordre de «l’art de fait» et abandonna le monde du rêve pour adhérer au réalisme. Mais, contrairement au constructivisme qui eut une influence importante en Pologne, le surréalisme y fut de courte durée. Le mouvement commença avec l’histoire du groupe Artes, fondé à Lvov en 1929 (O. Hahn, J. Janisch, A. Krzywob face="EU Caron" ゥodzki, L. Lille, M. Sielska, H. Streng, M. W face="EU Caron" ゥodarski, T. Wysocki). Les représentants du surréalisme polonais ne reprirent pas à leur compte l’ensemble du programme de ce mouvement, se bornant à souligner le rôle de l’imagination libérée, qui les amenait à une composition du tableau subordonnée aux associations lyriques (H. Streng). La schématisation formelle des silhouettes, plongées dans un espace indéterminé, créait l’atmosphère étrange et hallucinante d’œuvres restant toujours à la frontière de la fable et de la rêverie. Mais, dès 1932, les artistes commencèrent à se désintéresser de cette poétique.

Après 1933, en effet, les problèmes sociaux devinrent les préoccupations essentielles des créateurs polonais, à Lvov, Cracovie ou à Varsovie. «Nous puiserons, désormais, le sujet – écrivaient-ils – non pas dans l’ancien dépôt des accessoires artistiques, comme le fait le surréalisme, mais directement dans la vie quotidienne.» La radicalisation sociale et politique du programme de la peinture avant-gardiste fut la caractéristique des membres du Groupe de Cracovie créé en 1933 (S. Blonder, B. Grünberg, M. Jarema, F. Ja ぞwiecki, L. Lewicki, A. Marczy ski, S. Osostowicz, J. Stern, H. Wici ski, A. Winnicki...). Ces artistes, en majorité liés au mouvement communiste polonais, voulaient un art réagissant sur les événements sociaux, un «art révolutionnaire». Les œuvres des membres du groupe, éloignées du surréalisme, cumulaient les différentes traditions de l’avant-garde du XXe siècle. Leur attitude éthico-esthétique permit aux artistes du Groupe de Cracovie d’assimiler les expériences formelles au progrès social. L’activité de ce groupe met fin à l’histoire des mouvements avant-gardistes de l’avant-guerre en Pologne.

Quant à l’avant-garde hongroise, elle ne put se trouver un nouveau visage au cours des années 1930. Les créateurs qui revinrent à Budapest à la fin des années 1920 ne purent reconstituer un milieu artistique. Les initiatives prises par Kassák en Hongrie n’eurent pas une large audience malgré les revues Dokumentum , Munka (Le Travail), Korunk (Notre Époque). Les artistes de l’avant-garde qui avaient choisi l’émigration s’étaient étroitement liés avec l’art allemand et l’école du Bauhaus. Après la prise du pouvoir par les nazis et la fermeture de l’école, les artistes s’étaient dispersés aux quatre coins du monde. Néanmoins, pour tous, le constructivisme dans ses diverses versions, même très éloignées de ses origines, demeurait le point de référence, la tendance dominante et une base pour les recherches en cours.

En revanche, dans les pays de l’Europe du Sud-Est, les relations avec le surréalisme étaient importantes, particulièrement dans les milieux littéraires. En Yougoslavie dans le domaine des arts plastiques, le surréalisme dépendait étroitement de l’art français, mais il restait un terrain d’expérimentation individuelle et n’a pas suscité de courant assez fort. Seule la Serbie, où les prémisses du surréalisme apparurent vers la moitié des années 1920 (la revue Putevi , Les Chemins) s’intéressa à l’avant-garde. Les premiers photomontages de M. Risti が (1926) exploitent pleinement l’imagination surréaliste.

Au cours des années 1930, le milieu serbe se regroupa autour de deux revues: Nemogu がe (L’Impossible, 1930), et Nadrealizam danas i ovde (NDIO , Surréalisme aujourd’hui et ici, 1931-1932). Si l’on excepte R. face="EU Caron" ォivanovi が-Noje, dont la peinture représentait le surréalisme onirique, la production plastique des surréalistes serbes est due avant tout aux poètes collaborant aux différents magazines littéraires illustrés. Ils publièrent leurs dessins, collages, photomontages, photogrammes et rayogrammes dans les colonnes de ces revues (M. Dimitrijevi が, D. Jovanovi が, D. Kosti が, M. Risti が...). Les œuvres publiées se caractérisaient par le jeu plastique ou littéraire établi entre les images et les textes, par leur mimétisme et le recours à la métaphore filée. La situation politique et les mesures de répression prises par le régime yougoslave à l’encontre des activités artistiques serbes dans les années 1932-1933 mirent fin rapidement au mouvement surréaliste.

En Roumanie, au début des années 1930, deux revues se firent les porte-parole du surréalisme: Unu (1928-1932) et Alga (1930). Les relations approfondies avec le surréalisme s’établissaient par l’intermédiaire de V. Brauner, dont les dessins et les tableaux se peuplaient de personnages étranges, d’êtres fantastiques. On peut rattacher au mouvement surréaliste la peinture onirique de J. Perahim (exposée pour la première fois à Bucarest en 1932) et celle de J. Herold. Dans le climat créé par la montée du fascisme, la situation des artistes liés à la gauche fut extrêmement difficile. V. Brauner, après son importante exposition de 1935, a donné souffle au mouvement et encouragé les artistes qui collaboraient avec lui. Néanmoins, il dut quitter le pays en 1938. Et la création en 1939 du groupe des surréalistes roumains, au sein duquel les poètes G. Naum et P. Paun travaillaient avec le peintre J. Perahim, ne leur a pas laissé le temps, en un an, de jouer un rôle important. Ce fut la dernière initiative des artistes d’avant-garde avant la Seconde Guerre mondiale.

5. La fin de l’utopie

La Seconde Guerre mondiale interrompit le développement de l’art d’avant-garde. Ses utopies furent alors confrontées à une autre réalité.

Après la guerre, dans les pays appartenant au bloc soviétique, le processus d’affermissement de l’influence russe et de soumission du pouvoir local s’acheva vers la fin des années 1940. Les artistes, tout en faisant le bilan de l’histoire tragique de la guerre, essayèrent de retrouver les voies de l’art moderne, mais sans succès. Entre 1947 et 1949, dans tous les pays soumis au pouvoir communiste, on a imposé le modèle soviétique de la culture: le réalisme socialiste. Certaines personnalités toutefois, certains artistes indépendants, pouvaient à l’époque créer en cachette.

La libéralisation de la politique culturelle dans la seconde moitié des années 1950 a permis à l’avant-garde de prendre à nouveau la parole. Le phénomène a connu une ampleur différente selon les pays. Comme par ailleurs le paysage mondial de l’art a subi des transformations profondes, les problèmes posés appartiennent à une nouvelle phase du développement de l’art moderne, et les artistes qui participent à ce mouvement constituent désormais une «néo-avantgarde».

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Поможем решить контрольную работу

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Avant-garde Metal — Origines stylistiques heavy metal Origines culturelles …   Wikipédia en Français

  • Avant-garde metal — Origines stylistiques Heavy metal Metal extrême Musique d avant garde Origines culturelles  Norvege !Norvège …   Wikipédia en Français

  • Avant Garde Le Mans Gymnastique — L Avant Garde Le Mans Gymnastique ( AGM ) est un club de la Fédération française de Gymnastique FFGym crée en 1966 au Mans qui évolue au plus haut niveau de la gymnastique, en individuel et en équipe, en Division Nationale 1 de Gymnastique… …   Wikipédia en Français

  • CINÉMA D’AVANT-GARDE — Le cinéma d’avant garde ne constitue pas une école. On hésite à écrire que c’est un genre cinématographique, quoique en adoptant ce terme comme hypothèse de travail on puisse plus facilement circonscrire l’objet de notre étude. Le cinéma d’avant… …   Encyclopédie Universelle

  • TRANS-AVANT-GARDE — Mouvement artistique international d’après guerre, la trans avant garde a été conçue et théorisée, pendant les années 1970, par le critique d’art italien Achille Bonito Oliva, autour d’artistes italiens de cette décennie, comme Marco Bagnoli,… …   Encyclopédie Universelle

  • Avant-guerre — Seconde Guerre mondiale Pour les articles homonymes, voir Guerre mondiale. Seconde Gue …   Wikipédia en Français

  • Avant guerre — Seconde Guerre mondiale Pour les articles homonymes, voir Guerre mondiale. Seconde Gue …   Wikipédia en Français

  • EUROPE — Union européenne Pour les articles homonymes, voir Europe (homonymie) et UE (homonymie). Union européenne (*) …   Wikipédia en Français

  • Est du Québec — Québec  Cet article concerne la province canadienne. Pour l article sur la capitale, voir Québec (ville). Pour les autres significations, voir Québec (homonymie). Québec …   Wikipédia en Français

  • Phases (mouvement artistique) — Pour les articles homonymes, voir Phase. Le mouvement Phases, ou Phases convertisseur d’énergie, est un mouvement de réflexion et d’expression artistique né dans les années 1950 en France et mené par un groupe élargi de peintres, poètes et… …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”